La Lessive, les Lavandières et les Lavoirs.
Nos articles sont consacrés habituellement au patrimoine architectural de notre région, manoirs, églises, chapelles ; mais, pour une fois, nous allons évoquer un métier, une technique, des outils et en particulier évoquer un métier de femmes pour rendre à celles-ci un hommage qu’elles méritent bien : la lessive et les blanchisseuses. A la suite, après avoir évoqué leur outil de travail, nous présenterons leur atelier, c’est-à-dire les lavoirs de notre région.
L’essentiel de ce qui est dit, est tiré d’un livre d’économie domestique, « Le Livre du Foyer » de Mme Augusta Moll Weiss, publié en 1914 chez Armand Colin.
La Lessive au cuvier
C’est la méthode ancienne pour faire la lessive dans les campagnes. On faisait la lessive deux à trois fois par an, en utilisant un cuvier et de la cendre de bois*en guise de lessive. Le cuvier était en terre comme celui représenté ci-dessous ou en bois cerclé de fer. Son usage ancestral date de l’époque romaine.
*Les meilleures cendres de bois pour le blanchissage du linge sont celles provenant :Des arbres fruitiers, du chêne, du frêne, de l’orme, du charme, des sarments de vigne. Les cendres de l’aune et du châtaignier tachent le linge.
Cette description de la lessive est tirée d’André Theuriet :
« Pendant des mois, on avait emmagasiné des cendres de bois destinées au lessivage. Bien longtemps à l’avance, on fixait la semaine où aurait lieu la lessive, et on retenait les laveuses et les repasseuses. Les hauts greniers étaient remplis de monceaux de linge sale qu’on triait, après l’avoir tiré d’un vaste coffre de sapin, et que les servantes emportaient à la buanderie.
La lessive comprenait trois journées, trois actes bien distincts.
D’abord on entassait. Dans le vaste cuvier ventru, on disposait par couches le linge de la famille, en arrosant d’eau froide les couches successives ; puis quand le cuvier était plein, on étendait à la surface un drap de grosse toile appelé le cendrier, et sur ce drap, on répandait un lit épais de cendres de bois. On laissait ensuite le tout dormir pendant une nuit.
Le lendemain avait lieu le coulage. Dès l’aube, une ouvrière spéciale, experte dans l’art de couler la lessive, arrivait dans la buanderie, allumait des bourrées de sarment dans le fourneau, au dessus duquel s’arrondissait la grande chaudière pleine d’eau, et commençait, dès que le liquide était suffisamment chaud, à arroser les cendres du cuvier.
L’eau, en passant lentement à travers les cendres, leur prenait une partie des principes alcalins qu’elles contiennent et, tamisée par le cendrier, elle imbibait petit à petit et lessivait doucement les couches de linge. Elle s’écoulait ensuite par la bonde ouverte à la base du cuvier, était recueillie dans une seille et reversée dans la chaudière, où un feu de fagots la maintenait à une température toujours égale.
A la suite de ces passages successifs à travers les cendres et le linge, cette eau de lessive, douce et savonneuse, prenait une belle teinte brune et exhalait une odeur ammoniacale tout à fait caractéristique.
Ce coulage de la lessive exige une science et une expérience très appréciée des ménagères. Le liquide doit être versé sur les cendres avec méthode et sans précipitation. L’eau de lessive doit être maintenue à une température uniforme et il faut un flair exercé pour doser le liquide et mesurer les intervalles entre chaque arrosage. »
C’est ainsi que jusqu’au début du 20ème siècle, dans la plupart des campagnes, le cuvier dont on se servait pour faire la lessive était formé de douves cerclées de fer. Toutefois, dans certaines contrées, on s’utilisait encore des anciens cuviers en terre dont l’origine semble se perdre dans la nuit des temps, puisqu’il paraît que les Romains s’en servaient déjà.
Au fond, sans l’inconvénient de sa trop grande fragilité, il serait supérieur au cuvier en bois. Certains bois contiennent en effet des matières colorantes qui, entraînées par l’eau chaude, tachent le linge.
Il ne faudrait pas croire que le linge pouvait être mis à même le cuvier. On disposait généralement sur le fond des branches de genêt, on tapissait fond et parois avec un grand drap de toile grossière et ce n’était qu’alors qu’on y plaçait le linge. On le divisait en trois couches, séparées l’une de l’autre par une toile destinée spécialement à cet usage. Sur le cuvier ainsi préparé, on étendait une grosse toile, qu’on recouvrait d’une couche de cendre de trois à quatre centimètres d’épaisseur, bien tamisée.
Après avoir coulé la lessive durant douze ou quinze heures, s’il y avait beaucoup de linge, on passait au lavage proprement dit, de préférence dans une eau courante. C’est là qu’intervenait le travail au lavoir, où le linge était transporté dans une charrette ou sur une brouette. Le linge était frotté soigneusement dans le sens de la chaîne en particulier les pièces restées sales. Cette opération devait se faire avec les mains seules, sauf pour les torchons frottés avec une brosse souple. Le frottement détachait les parties solides qui adhèrent encore au linge et le débarrassait de toutes les matières grasses saponifiées par la lessive.
Le linge étant lavé, il fallait le rincer, c’est-à-dire le débarrasser de toute trace de graisse ou de savon. On le passait pour cela dans une eau qu’on renouvelait jusqu’à ce qu’elle restât parfaitement claire. Puis on le tordait en faisant en sorte que cette torsion ne soit ni trop forte ni trop faible. Trop forte elle avait pour résultat d’user prématurément les fibres du tissu. Trop faible, elle augmentait les difficultés du séchage. De même que le lavage, la torsion du linge devait être pratiquée dans le sens de la chaîne. Faite dans le sens de la trame, elle élargissait et déformait les pièces.
Banc à laver.
Les bonnes ménagères, réputées pour la blancheur de leur linge, l’étendaient sur le pré quand il était bien lavé. L’herbe devait être haute et serrée, et dépourvue de plantes à suc laiteux. Il ne devait pas être à l’ombre des arbres. On exposait ainsi le linge un jour et une nuit. L’air, la lumière et l’humidité de la rosée lui donnaient cette blancheur éclatante. Les grandes lessives se faisaient en automne et au printemps, car, durant ces saisons, la rosée est plus abondante. La blanchisseuse se chargeait d’ailleurs d’entretenir l’humidité en versant à plusieurs reprises de l’eau pure sur les pièces étendues.
La lessiveuse
A partir de 1900 la lessiveuse en fer galvanisé va remplacer peu à peu le cuvier qui était en usage depuis l’époque gallo-romaine. Le linge bout désormais sur le feu de la cuisinière mais il est toujours frotté et rincé au lavoir. Cependant les lessives sont plus fréquentes. On passe à une lessive par mois puis à une par semaine. La lessive en cristaux remplace la cendre.
Reprenons notre « Livre du Foyer » : La lessiveuse
«Employer une lessiveuse en tôle galvanisée et se bien rendre compte, avant de s’en servir, qu’elle est tout à fait propre, nette de toute souillure. Pour l’en préserver, il faut à chaque fois qu’elle a servi, la laver proprement, la frotter avec énergie et la bien sécher.
La lessiveuse se compose d’un cône de plus ou moins grande dimension, d’un double fond percé de trous et dont le centre est surmonté d’un tube injecteur, enfin d’un anneau muni de quelques crochets que l’on dispose en haut à la surface du linge pour empêcher qu’il se soulève. Notre lessive moderne comprend une série d’opérations assez compliquées. Ce sont :
1° Le triage ; 2° le trempage ; 3° l’essangeage ; 4° le coulage ; 5° le lavage proprement dit ; 6°le rinçage ; 7°l’azurage ; 8° le séchage
- Le triage consiste à séparer le linge de corps du linge de table, de cuisine, de couleur
- Le trempage doit en effet se faire selon la catégorie de linge qu’il s’agit de nettoyer
- Le linge de corps se met à l’eau tiédie pour éviter de cuire l’albumine des sécrétions albuminoïdes de la peau.
- Le linge de cuisine, sali de matières grasses, est trempé à l’eau chaude.
Le trempage aura une durée de 12 heures environ ; il facilite le lavage.
- L’essangeage- Tout le linge, suffisamment trempé sera ensuite savonné et frotté aux endroits où il offre des taches. Cette opération est suivie du coulage.
- Le coulage On dépose sur le fond de la lessiveuse le savon en copeaux et les « cristaux », dans la proportion de 250 grammes de savon et de 50 grammes de cristaux** 10 kilogrammes de linge sec ; puis on place le double fond sur lequel on étend d’abord le gros linge puis le linge moins gros, enfin le linge fin. Cette manière de procéder en isolant le linge fin de tout contact avec les parois le préserve des taches. On verse sur le tout quelques litres d’eau, on ferme hermétiquement et l’on place la lessiveuse sur le feu.
Dès que l’eau commence à bouillir, elle monte par le tube injecteur et, retombant sur le linge, le pénètre et le nettoie. Au bout d’une heure et demie à deux heures, les différentes pièces enfermées dans la lessiveuse sont blanchies et stérilisées. On passe alors au lavage proprement dit.
- Les opérations suivantes, lavage, rinçage, ont déjà été décrites précédemment. L’azurage consiste à passer le linge bien rincé dans une eau bleuie au bleu d’outremer pour masquer la couleur jaunâtre que le linge lavé a très souvent. Mieux vaut pour la blancheur du linge un séchage au grand air, sous les ondes lumineuses d’un brillant soleil. »
« Le Livre du Foyer » a permis ainsi à de nombreuses ménagères de solutionner le problème de la lessive.
**Carbonate de Soude, vulgairement appelé « Cristaux » est utilisé dans la lessiveuse avec du savon en copeaux (250g de savon pour 50g de cristaux). En solution alcaline dans l’eau de lessive, il a, tout comme la potasse, la propriété de décomposer les corps gras en les saponifiant.
Historique
- Invention de la première lessiveuse 1858- utilisation courante à partir de 1900
- Invention de la première machine à laver 1901 aux USA- utilisation courante à partir de 1960
- Le détergent synthétique fut découvert en 1916 en Allemagne
- Persil fut introduit en1932
- La lessive en carton, puis baril, date de 1964
- La première lessive liquide apparaît en 1982
- A partir de 1950, les lavoirs ont été progressivement délaissés par l’arrivée de l’eau courante chez les particuliers, puis par celle de la machine à laver en 1960.
- Aujourd’hui la lessive se fait à la maison, avec des détergents, poudres, liquide ou tablettes. Après la disparition des phosphates, trop polluants, c’est maintenant la publicité qui lave le linge plus blanc. Mais est-il pour autant mieux lavé que quand il était blanchi sur le pré ?
Les Lavoirs de notre région.
Jusqu’à la distribution de l’eau sur l’évier dans les années 1930 dans notre région, les lavoirs sont les ateliers des lavandières. Il en existe dans presque tous les ménages, au moins plusieurs dans chaque hameau ou village. A Paris et sur les grandes rivières on trouve des bateaux lavoirs où on peut laver et rincer le linge. Beaucoup ont été détruits, mais ceux qui ont été réparés font partie du patrimoine architectural. Simplement pour l’Essonne plus de 300 lavoirs avec leurs photos sont recensés sur le site: https://www.lavoirs.org/departement.php?code=91
Je vous suggère de faire une promenade « lavoirs » autour de votre village. Presque chaque point d’eau naturel en est équipé, rivière (l’Orge en particulier), mare ou ruisseau. Voici quelques photos tirées du site cité plus haut. Un des plus remarquable est celui de Saint-Maurice-Moncouronne. Construit en 1900, il est surmonté d’une grenouille jouant de la mandoline. A l’intérieur, il y a de grandes inscriptions sur lesquelles on peut lire « Le battoir besogne mieux que la langue » ou « Ne geignez pas sur vos maris, tous les linges sales ne se lavent pas ici »
Sermaise-Lavoir au bord de l’Orge.
Sermaise-Mondétour : Au bord de la mare au centre du village.
Saint Chéron- Lavoir rue des Mares.
Saint Chéron- Mare de Saint Evroult.
Dourdan- Lavoir au bord de l’Orge.
Lavoir de Saint-Maurice-Moncouronne.
Claude Hézard.
Pour compléter cet article, j’annexe deux photos personnelles du lavoir de Mondétour. Ce petit lavoir a été qualifié d’exceptionnel par le service « Patrimoines et Inventaire de la région Île-de-France » en raison de la préservation de l’ensemble de ses traits d’origine.
Mise en page et mise en ligne de l’article réalisées par Patrick Daviot.